Oser parler de ses troubles alimentaires
LES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE OU TCA
Je sais qu’il n’est pas facile de venir en consultation auprès d’un professionnel de santé, même d’un diététicien, pour oser parler de son rapport à la nourriture, de ses habitudes et de ses comportements considérés par vous même comme “anormaux” ou inquiétants, ou s’ils ont déjà été diagnostiqués, de son trouble alimentaire. Déjà, il y existe un auto jugement de la part de celui qui en souffre et à ceci s’ajoute parfois la honte et la crainte d’être jugé pour ces comportements par le professionnel de santé consulté. Et parfois, aussi, il y a du déni ou une minimisation des comportements problématiques.
Pourtant il est important de s’ouvrir avec sincérité et sans jugement à son comportement alimentaire, car d’une part, la parole libérée soulage et permet de se mobiliser et agir et d’autre part, elle permet au professionnel de mieux orienter le discours et la prise en charge diététique. Un professionnel de santé n’accompagne pas de la même façon une demande de perte de poids en présence d’un trouble du comportement alimentaire ou dans un contexte qui pourrait être favorable à son apparition (ex : dépression, mal être…). Bien souvent, on vient me consulter pour un objectif défini qui est de maigrir/ mincir ou perdre du poids/ des kilos superflus. Que les raisons de cette demande soient objectivement valides ou pas, il est important de rester à l’écoute du patient qui fait la démarche d’être accompagné et de repérer les signaux d’alerte.
Le praticien doit garder à l’esprit que derrière chaque demande de perte de poids peut se cacher une souffrance et que derrière chaque tentative échouée, une particularité ou un trouble alimentaire n’ont peut être pas été pris en considération. Le praticien de santé et le patient doivent aussi savoir que la restriction alimentaire ou les régimes ont des rôles actifs majeurs dans la précipitation ou l’entretien des troubles alimentaires. Se rendre compte et exprimer qu’il y a un problème de comportement alimentaire et savoir qu’on peut le résoudre et en guérir, sont le premier pas vers une prise en charge adaptée et vers la vraie vie sans TCA.
PETITE REVUE DES DIFFÉRENTS TCA
Définition (HAS)
On appelle troubles du comportement alimentaire (TCA) les conduites alimentaires différentes de celles habituellement adoptées par des individus placés dans un même environnement nutritionnel et socioculturel, et induisant des troubles somatiques et psychologiques. Les troubles les plus fréquents sont l’anorexie et la boulimie. Ils touchent dans 9 cas sur 10 des jeunes filles. Les TCA toucheraient près de 1 million de personnes en France, et jusqu’à 17% de la population si on considère également les troubles ne remplissant pas tous les critères typiques diagnostique des TCA. La prévalence des TCA chez les étudiants a d’ailleurs fortement augmenté durant le COVID et ses périodes de confinement, chaque type de TCA ayant été multiplié par 2.
En réalité, ces troubles sont multiples, multiformes, pouvant varier sur un spectre de nature, d’intensité, de fréquence et de gravité. Ils peuvent être à l’origine de variations de poids (perte de poids, prise de poids, yoyo), de souffrance psychologique,de troubles de l’humeur, de perte de concentration, d’isolement social, de dépression, de ruminations, de rituels, de perte de confiance et d’estime de soi…, de conséquences physiques comme la dénutrition ou l’ostéoporose, de problèmes de santé divers à court, moyen ou long terme… les individus souffrant de TCA peuvent aussi passer d’une forme clinique à une autre.
Les TCA sous leur forme sévère peuvent avoir des répercussions graves sur la santé. Ils sont beaucoup plus fréquents chez les filles, mais des garçons en souffrent aussi. Les adolescents (es), les sportifs sont des populations particulièrement vulnérables. Les troubles du comportement alimentaires sont décrits dans le DSM V (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et voici ce qu’il répertorie :
FORMES TCA RESTRICTIVES
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L’anorexie mentale forme typique : se caractérisant par
- une restriction alimentaire (qualitative/quantitative) aboutissant à une perte de poids importante et l’atteinte d’un poids faible (IMC<18.5)
- une peur intense de la prise de poids ou de l’obésité
- une perturbation de l’image corporelle (perception erronée du poids corporel et/ou de l’aspect, fausse impression d’être gros(sse)) ou déni de la gravité de la maladie
Chez les jeunes filles, ceci peut se traduire par l’arrêt des règles (masqué sous pilule).
Sont souvent associées, des stratégies de contrôle du poids ou de compensation comme le sport excessif, l’usage de laxatifs, des coupes faim, ou encore la consommation importante d’eau (potomanie) ou la pratique des vomissements provoqués.
Les pensées sont anormalement et obsessionnellement orientées vers la nourriture, le poids ou les moyens d’éviter de grossir ou de manger, au point parfois d’isoler la malade dans ses ruminations.
Les conséquences de la perte de poids et la dénutrition qui s’ensuit peuvent mettre le ou la malade en danger vital.
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Les anorexies atypiques
qui ne remplissent pas tous les critères diagnostic de l’anorexie mentale typique (ex : poids normal ou surpoids) mais où les comportements restrictifs, le système de pensée anorexique et les préoccupations autour du poids et de l’image corporelle sont anormalement présents. Ces formes atypiques sont parfois difficiles à diagnostiquer car le poids normal masque la problématique de fond.
D’autres pratiques alimentaires restrictives peuvent interroger, mais n’étant pas nécessairement un trouble, ces pratiques ne sont donc pas classifiées comme tel :
- l’orthorexie : se caractérisant par une obsession anormale d’une alimentation “pure”, “naturelle” ou non contaminée.
- la bigorexie : se caractérisant par une dépendance au sport à l’obsession du corps sportif ou musclé, sans graisse, menant à une alimentation sélective et des pratiques alimentaires obsessionnelles.
- certaines pratiques de véganisme strictes (ex : crudivorisme..) : NB : tous les vegans ne souffrent pas de troubles alimentaires heureusement et cette alimentation peut être très saine
FORMES COMPULSIVES
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La boulimie nerveuse typique se caractérisant par :
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- Des épisodes récurrents de consommation anormalement élevée de nourriture sur un temps très court
- Le sentiment intense de perte de contrôle
- Une fréquence des crises d’au moins 1 fois par semaine depuis plus de 3 mois
- Des comportements compensatoires pour éliminer la crise de type vomissements
- Une préoccupation excessive vis à vis du poids et du corps
La fréquence des crises peut être particulièrement importante (plusieurs fois par jour, la consommation de ces aliments a lieu sans faim et n’apporte en général pas de rassasiement ni de plaisir. Les vomissements sont des comportements qui aggravent la santé des malades (gencives, dents, malnutrition, déshydratation, ostéoporose, hypokaliémie) et sont très mal vécus.
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Les formes de boulimie atypique
ne remplissent pas tous les critères diagnostiques de la boulimie typique en particulier, la fréquence des crises ou des vomissements sont plus faibles (< 2 fois par semaine), les aliments sont consommés en moins grande quantité.
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L’hyperphagie boulimique (ou compulsions alimentaires ou Binge) se caractérisant par
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- La présence de compulsions ou crises de consommation importante de nourriture (en dehors des repas) et généralement associé au plaisir de manger
- La sensation de perte de contrôle
- Une fréquence d’au moins 2 fois par semaine depuis plus de 3 mois
- L’absence de vomissement ou de comportements pour compenser ces excès
Il est fréquent que les personnes souffrant de compulsion soient en surpoids ou en obésité. Le choix des aliments sélectionnés lors des crises sont en général celui qu’elle s’interdit d’habitude et s’associe à une forte culpabilité. La consommation de ces aliments s’effectue sans faim et les quantités peuvent être plus ou moins importantes. Il ne s’agit pas ici d’un simple grignotage. Notons également que les régimes ont tendance à exacerber les épisodes d’hyperphagie boulimique.
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Le syndrome de l’alimentation nocturne
Il se caractérise par une prise alimentaire anormalement augmentée le soir et la nuit. Au moins 25 % de l’apport alimentaire est consommé après le repas du soir au moins deux fois par semaine depuis au moins 3 mois. D’autres critères doivent également être pris en compte.
Sources
Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB) – journée mondiale de sensibilisation aux TCA 2022
Tavolacci MP, Ladner J, Dechelotte P. Forte augmentation de la prévalence des troubles du comportement alimentaire chez les étudiants pendant la pandémie COVID-19. Nutrition Clinique et Metabolisme. 2022 Feb;36(1):S28–9. French. doi: 10.1016/j.nupar.2021.12.053. Epub 2022 Mar 7. PMCID: PMC8900953.
https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/psy/anorexie-mentale-clinique
Allison KC, Lundgren JD, O’Reardon JP, Geliebter A, Gluck ME, Vinai P, Mitchell JE, Schenck CH, Howell MJ, Crow SJ, Engel S, Latzer Y, Tzischinsky O, Mahowald MW, Stunkard AJ. Proposed diagnostic criteria for night eating syndrome. Int J Eat Disord. 2010 Apr;43(3):241-7. doi: 10.1002/eat.20693. PMID: 19378289; PMCID: PMC4531092.
A L’ORIGINE DES TCA
Plusieurs facteurs prédisposent aux TCA, on peut citer les facteurs de susceptibilité génétique, les facteurs sociétaux, les facteurs liés au fonctionnement intrafamillial (notamment la pression autour du poids du corps, de la santé et le contrôle alimentaire exercé), la présence d’antécédents de TCA dans la famille, les tendances addictives ou dépressives…
Des facteurs personnels et des traits psychiques tels que le sentiment de mal être, l’anxiété, la dépression, la faible estime de soi, la peur exacerbée d’échouer, la non reconnaissance et la réponse inappropriée aux émotions, les addictions, les traumas vécus sont autant d’éléments prédisposant aux TCA.
Sur un terreau fertile associé à un moment propice (souvent l’adolescence) le facteur déclencheur principal du TCA est LE RÉGIME et LA PERTE DE POIDS (volontaire ou non).
Attention toutefois : Tout le monde ne développe pas de TCA après un régime ou une perte de poids !!!
L’AUTOENTRETIEN DES TCA
Un TCA qui débute doit être rapidement pris en charge car il finit par s’autoalimenter et “tourner en boucle” en dehors de l’individu.
Au départ, la perte de poids obtenue par le régime et la satisfaction qui en découle sont en réalité les premiers pièges. Réussir à perdre du poids et à contrôler son alimentation sans défaillir est très galvanisant, ça booste le moral, c’est la période de “lune de miel” où tout va bien en apparence, les autres soucis de la vie sont au second plan.
Cependant il est très difficile voir impossible pour un être humain (ou animal) de restreindre ses apports caloriques longtemps sans avoir faim, sans être frustré, et sans subir des accès compulsifs incontrôlables. En réalité le contrôle de la prise alimentaire n’est pas sous contrôle strict de la volonté mais sous contrôle de mécanismes biologiques et biochimiques puissants. La survie d’un individu nécessite de manger selon des besoins physiologiques génétiquement définis qu’on le veuille ou non.
Les craquages, petits ou grands sont donc normaux mais sont très mal vécus par la personne qui se sent honteuse et coupable d’avoir rompu son pacte et craint de reprendre le poids qui a été perdu. En réponse elle cherchera encore à renforcer le contrôle et la restriction …. et la boucle continue…et enferme la personne dans son trouble, seule.
Le TCA maintien la personne qui en souffre dans un cercle vicieux qui la dévalorise de plus en plus à ses yeux : peur de prendre du poids, de devenir obèse, recheche de restriction et de contrôle, compulsion ou peur d’en faire diminution de l’estime de soi … etc
SORTIR DU TCA ET GUÉRIR
C’est une bonne nouvelle : on guérit des TCA. Plus de ⅔ des personnes qui en souffrent en sortent. Cette guérison est souvent longue, sinueuse, soumise à des rechutes et nécessite un accompagnement pour ne pas lâcher le chemin vers la guérison.
On adaptera la prise en charge aux facteurs favorisants et aux retentissements du trouble alimentaire sur la santé physique et psychologique. Celà va du soin d’une dépression ou d’une anxiété, d’une prise en charge nutritionnelle/micronutritionnelle en cas de dénutrition ou de boulimie, en passant par le suivi psychologique et diététique permettant de rétablir une relation à soi même, à son corps, aux autres et la l’alimentation plus sains.
La HAS, haute autorité de santé a élaboré des recommandations relatives à la prise en charge, basée sur un corpus de preuves scientifiques.
Pour amorcer sa guérison, la personne en souffrance devra suivre la voie suivante :
- Reconnaitre le TCA, sortir du déni
- Accepter que s’alimenter davantage et régulièrement (en général ceci se fait pas à pas)
- Sortir du focus poids (c’est compliqué, mais on y arrive)
- Retrouver des pensées et comportements alimentaires flexibles et fonctionnelles
- Faire accompagner ses souffrances et fonctionnements dysfonctionnels (émotionnel, familial, traumatisme…) par un thérapeute.
- Travailler l’estime de soi et la confiance en soi
- En cas de dépression ou d’anxiété il est indispensable d’adopter le traitement médicamenteux adapté.
- Faire suivre sa santé par son médecin généraliste
- Parfois l’hospitalisation est nécessaire en service spécialisé
Sources :
Recommandations HAS 2019 : Boulimie et hyperphagie boulimique
HAS : document d’information destinés aux familles et aux patients 2010: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2010-09/3ebat_fs_famillepatient_anorexie_2209.pdf
CHOIX DES PROFESSIONNELS
Pour assurer sa guérison, la personne souffrant de TCA peut s’entourer de plusieurs professionnels selon sa situation :
Médecin généraliste traitant : pour le suivi clinique, les bilans sanguins, les examens complémentaires, la prescription des médicaments et des compléments alimentaires
Psychiatre : pour le suivi psychiatrique et l’adaptation des traitements aux pathologies psychiatriques sans lequel le travail psychologique aurait du mal à aboutir
Psychologue : formé aux thérapies comportementales et cognitives permettant le diagnostic et la prise en charge psychologique des éventuels : traumatisme, de l’estime et de la confiance en soi, du rapport au corps, du rapport aux autres, de la quête de sens, de l’identification, l’expression et de la réponse aux émotions, des attitudes et schémas mentaux répétitifs dysfonctionnels… etc .Certaines thérapies sont identifiées comme utiles par la HAS : les thérapies de soutien ; les psychothérapies psychodynamiques ou d’inspiration analytique ; les thérapies comportementales et cognitivo-comportementales (TCC) ; les thérapies systémiques et stratégiques, les thérapies familiales sont nécessaires pour les enfants et adolescent souffrant de TCA
Diététicien : sensibilisé et formé aux TCA avec une prise en charge de type comportementale, pour conduire le patient vers une alimentation plus équilibrée, permettre un rapport à la nourriture plus sain et moins rigide et en concordance avec ses valeurs, rétablir ou maintenir un poids satisfaisant de santé, effectuer une psychoéducation sur le rôle des aliments, amener à mieux comprendre les pensées et les schémas comportementaux inadaptés répétitifs, rétablir une alimentation plus intuitive, plus sensitive et moins mentalisée.
Des associations : il existe plusieurs associations qui informent et accompagnent les personnes souffrant de TCA par exemple : La FFAB (Fédération Française Anorexie et Boulimie), l’Association Autrement, Endat, La note bleue
Une ligne téléphonique pour en parler ouvertement à un professionnel de santé : « Anorexie Boulimie, Info écoute » au 09 69 325 900 de 16h à 18h les lundis, mardis, jeudis et vendredis.
Vous l’aurez compris, les TCA se soignent et guérissent la plupart du temps. La vie avec un TCA isole, elle éloigne la personne qui en souffre de ses projets et de ce que peut être sa “vraie vie”. La première étape consiste à sortir du déni et à en parler ouvertement avec un professionnel.
Pour ceux qui s’interrogent sur leur rapport à l’alimentation, je vous propose de répondre simplement au questionnaire ci dessous à télécharger traduit de l’anglais. Ce questionnaire est un premier outils de dépistage mais n’est pas un outil à visée diagnostique. Il permet de faire un premier point sur son rapport au corps et à la nourriture. N’hésitez pas à en parler à un professionnel de santé et je reste à votre disposition pour celà.
Article rédigé par Katia Tardieu, diététicienne nutritionniste
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