Les pratiques de jeûne, intérêts pour le poids et la santé Partie 2
Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à lire la Partie 1 de l’article (modèles de jeûne, classification des régimes, mécanisme du jeûne et utilisation des ressources énergétiques)
Bénéfices et risques liés à la restriction calorique – effet ajouté de l’exercice physique
Jeûner de manière intermittente aboutit assez naturellement à une réduction des apports caloriques habituels. En effet, les sujets ne “rattrapent” pas totalement les calories déficitaires induites par les jours de jeûne. L’ensemble des études à ce jour laissent entendre que les bénéfices des pratiques de jeûne (ex : jeûne un jour sur 2, 2 jours par semaine ou restreint dans le temps) sont la conséquence de la restriction calorique qu’elles induisent.
C’est pour cette raison qu’il est utile de poser les bénéfices de la restriction caloriques avant d’élucider les bénéfices du jeûne.
(1) La restriction calorique est une intervention nutritionnelle qui vise à réduire l’apport calorique (de 20 à 50%) sans créer de dénutrition, c’est à dire en maintenant des apports en protéines, vitamines et minéraux suffisants.
Une restriction calorique, même modérée, induit une perte de poids et, associée à une nutrition adéquate, elle entraîne des adaptations métaboliques favorables qui permettent de prolonger la durée de vie, réduire les processus inflammatoires et prévenir l’apparition de pathologies chez de nombreux modèles animaux. Chez l’homme de nombreuses données convergent vers l’idée qu’elle est susceptible aussi de prévenir ou retarder les facteurs de risque de diabète de type 2, les maladies cardiaques et cérébrovasculaires et le cancer. (2)
La perte de poids obtenue est composée de ⅔ à ¾ de masse grasse et de ¼ à ⅓ de tissu maigre dont de la masse musculaire.
Une étude de 2 ans de restriction calorique modérée continue (3) (-17 à 25% des besoins énergétiques) chez des jeunes individus sans obésité a induit une perte de volume de tous les types de tissus (tissus gras et tissu maigre : muscles, cerveau, foie, rate, rein). En 2 ans il y a eu une perte préférentielle de graisse et environ 17% de perte de muscles. Quant aux organes vitaux, la perte de volume était identique à un groupe contrôle sans régime.
L’ANSES rappelle dans son avis relatif aux risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement de 2011, qu’une perte de poids de 10% mène à une perte de 1 à 2% de densité minérale osseuse.
On sait également que les personnes à poids normal, perdront proportionnellement plus de masse maigre qu’une personne en surpoids ou obèse. (4)
Ajouter des exercices de type résistance (3X/semaine) est une stratégie efficace pour atténuer ou même prévenir la perte de masse musculaire induite par la perte de poids pendant la perte de poids (4-5), y compris chez les personnes âgées en obésité. Les effets de l’exercice de type endurance sur la masse musculaire pendant la perte de poids sont incertains. (4)
Une étude de 6 mois portant sur l’ajout d’un exercice aérobie à la restriction calorique n’a apporté aucun avantage supplémentaire sur la composition corporelle : l’exercice n’a pas empêché la perte de masse maigre ni n’améliore la répartition des graisses dans le corps (6). Cette répartition des graisses corporelles étant très certainement déterminée génétiquement.
Toutefois, la restriction calorique associée à l’exercice entraîne des avantages cardiométaboliques supérieurs à une restriction calorique seule. (Augmentation de la capacité aérobie, amélioration de la sensibilité à l’insuline, du cholestérol LDL et de la tension artérielle diastolique.) (7)
Quant à la restriction calorique sévère (8), elle provoque une malnutrition (insuffisance en protéines, vitamines et minéraux) . Les effets négatifs sur l’organisme sont très bien documentés : maigreur extrême, perte de libido, sensibilité au froid et des cycles menstruels altérés, une diminution de la fécondité, une altération du système immunitaire. Tandis que la perte de poids accrue (cf anorexie mentale), est associée à une mortalité accrue, une hypokaliémie, hypophosphatémie, hypoglycémie symptomatique, déshydratation, hypotension orthostatique, hypothermie (température < 36,1 °C), troubles des fonctions menstruelles et reproductives, anémie, fractures osseuses ostéoporotiques et arythmies cardiaques.
Pour rappel, L’ANSES en France, recommande des apports caloriques de 2200 à 2700 kcal par jour dont au moins 10 à 20% de protéines (ou au moins 0,83g/kg) afin d’optimiser la santé de la majorité de sa population, on ignore toutefois à l’échelle individuelle quel est l’apport calorique optimal ou délétère.
En conclusion
Modérée, la restriction calorique apporte des bénéfices santé et peut être un outil d’intervention pour la perte de poids et prévenir les pathologies de l’adulte en surpoids ou obèse. Les études chez les animaux montrent que la restriction calorique ralenti les processus de vieillissement. Chez les personnes minces ou en surpoids/obésité, une restriction calorique sans dénutrition induit une perte de masse grasse principalement mais également musculaire qui peut être prévenue par des exercices en résistance. Une restriction calorique sévère couplée à une insuffisance en protéines provoquent une malnutrition et des effets délétères pour la santé.
Sources :
1-Hofer SJ, Carmona-Gutierrez D, Mueller MI, Madeo F. Les hauts et les bas de la restriction calorique et du jeûne : des effets moléculaires à l’application clinique. EMBO Mol Med . 2022;14(1):e14418. doi:10.15252/emmm.202114418
2- Redman LM, Ravussin E. Caloric restriction in humans: impact on physiological, psychological, and behavioral outcomes. Antioxid Redox Signal. 2011;14(2):275-287. doi:10.1089/ars.2010.3253
3- Shen, W., Chen, J., Zhou, J., Martin, CK, Ravussin, E. et Redman, LM Effet de la restriction calorique de 2 ans sur la taille des organes et des tissus chez les non obèses de 21 à 50 ans adultes dans un essai clinique randomisé : l’étude CALERIE. Le tourillon américain de la nutrition clinique
4- Edda Cava, Nai Chien Yeat, Bettina Mittendorfer, Preserving Healthy Muscle during Weight Loss, Advances in Nutrition, Volume 8, Issue 3, May 2017, Pages 511–519, https://doi.org/10.3945/an.116.014506
5- Sardeli, AV; Komatsu, TR ; Mori, MA; Gaspari, AF; Chacon-Mikahil, L’entraînement en résistance MPT prévient la perte musculaire induite par la restriction calorique chez les personnes âgées obèses : une revue systématique et une méta-analyse. Nutriments 2018 , 10 , 423. https://doi.org/10.3390/nu10040423
6- Redman LM, Heilbronn LK, Martin CK, et al. Effet de la restriction calorique avec ou sans exercice sur la composition corporelle et la répartition des graisses. J Clin Endocrinol Metab . 2007;92(3):865-872. doi:10.1210/jc.2006-2184
7- Larson-Meyer DE, Redman L, Heilbronn LK, Martin CK, Ravussin E. Restriction calorique avec ou sans exercice : le débat entre la condition physique et l’adiposité. Exercice sportif Med Sci . 2010;42(1):152-159. doi:10.1249/MSS.0b013e3181ad7f17
8- Most J, Tosti V, Redman LM, Fontana L. Calorie restriction in humans: An update. Ageing Res Rev. 2017;39:36-45. doi:10.1016/j.arr.2016.08.005
Bénéfices supposés du jeûne sur la santé et ses effets mesurables sur les marqueurs biologiques et le poids
(1) Les résultats préliminaires sur les pratiques de jeûne intermittent suggèrent, outre la perte de poids, de masse grasse, des bénéfices cardiométaboliques, une possible prévention du diabète de type 2, des améliorations de performances physique dans certaines conditions. Dans les modèles animaux, il induit une augmentation de la longévité. Ces bénéfices sont attribués en particuliers à la restriction calorique et la perte de poids induits par cette restriction calorique, toutefois, il est probable qu’il puisse y avoir des effets adjuvants propres au jeûne que nous ne savons pas encore bien évaluer.
Bénéfices des pratiques de jeûne et du TRF (alimentation restreinte dans le temps) sur le poids et les marqueurs biologiques
Comme le démontrent certaines études observationnelles (2), il semble y avoir des associations entre une fenêtre courte d’alimentation dans la journée (<10heures), la santé métabolique et la composition corporelle.
Cependant une association entre 2 phénomènes ne démontre pas nécessairement un lien de causalité, de plus il est utile d’en relativiser les effets.
Les effets du jeûne, y compris le jeûne intermittent, ne sont pas aussi spectaculaires que les médias nous le présentent.
Comme avec tout modèle de régime, la perte de poids est modeste, et équivalente au modèle de restriction calorique continue.
Bien que des effets biologiques existent (même en l’absence de perte de poids) : pression sanguine, bilan glycémique les triglycérides, et le stress oxydatif ces résultats ne semblent pas particulièrement significatifs comme le démontrent les articles suivants :
L’article (3) est une méta analyse comparant les effets de différents modèles de jeûnes intermittents à un modèle de restriction calorique. Sur 3 à 12 mois de régime, le poids moyen perdu était de 7 kg dans les différents modèles comparés.
Dans l’article (4), l’alimentation restreinte dans le temps (12h-20h) d’un groupe de 50 personnes a mené à une perte de poids moyenne de 1,7 kilos dont 1,1 kg de masse maigre sur 12 semaines. La perte de poids était similaire à un autre groupe sur 3 repas quotidiens. Les marqueurs biologique n’ont pas été affectés par le modèle de régime (masse grasse, l’insuline à jeun, le glucose, l’HbA1C ou les lipides sanguins n’ont pas évolués)
Dans l’article (5), un groupe de 19 personnes en obésité et souffrant d’un syndrome métabolique ont suivi 12 semaines de TRF avec une perte de poids moyenne de 3,3 kg en 12 semaines et des diminutions de la pression artérielle systolique et diastolique, du cholestérol total, du LDL-C et du HDL-C.
Dans l’article (6), 8 hommes en surpoids prédiabétiques ont suivi un modèle de TRF précoce de 6h avec un diner avant 15h durant 5 semaines. Les repas étaient fournis en quantité suffisante pour chercher à maintenir le poids des participants. Les participants n’ont pas perdu de poids. Leur pression sanguine a diminué, la résistance et le taux d’insuline, les marqueurs de stress oxydatifs se sont améliorés, mais pas les niveaux de cholestérol, ni le marqueur inflammatoire (CRP) ni les taux de cortisol. Etonnamment, le modèle de TRF a permis de diminuer l’appétit du soir.
Dans l’article (7), 8 personnes en surpoids ayant habituellement une durée d’alimentation > 14 heures ont mangé pendant seulement 10 à 11 heures par jour pendant 16 semaines, assistées par une application smartphone. Le poids à diminué de -3.2 kg en moyenne sur 16 semaines, et la restriction horaire a mené à une réduction calorique spontanée de -20% environ.
Dans l’article (8), 23 sujets obèses en bonne santé, sédentaire et peu actifs ont suivi un modèle de TRF de 8h durant 12 semaines. Ils ont reçu pour instruction de manger à volonté de 10 h 00 à 18 h 00 tous les jours et de jeûner de 18 h 00 à 10 h 00 tous les jours. Les résultats indiquent que la réduction de la fenêtre alimentaire quotidienne à 8 h/j diminue l’apport calorique d’environ 300 kcal/j, sans comptage intentionnel des calories. En raison de ce déficit énergétique quotidien, les sujets du groupe d’alimentation limitée dans le temps ont perdu environ 3 % de leur poids corporel sur 12 semaines, par rapport aux témoins.
Dans l’article (9), en 2017, l’American Heart Association se prononce sur le jeûne intermittent dans la prévention des maladies cardiovasculaires et sur le poids et rassemble les données de la littérature. Ses conclusions sont que le poids corporel a diminué dans toutes les études de 3 % à 8 % après 3 à 24 semaines de traitement. Les participants ont perdu du poids plus rapidement dans les études sur le jeûne alterné qui nécessitent 3 à 4 jours de jeûne par semaine par rapport aux études sur le jeûne périodique, qui obligent les participants à ne jeûner que 1 à 2 j/semaine. En moyenne, le jeûne d’un jour sur deux produit une réduction de 0,75 kg/semaine du poids corporel, tandis que le jeûne périodique produit une réduction de 0,25 kg/semaine du poids corporel.
Ils concluent que le jeune peut être efficace pour perdre du poids à moyen terme, être utiles pour abaisser les concentrations de triglycérides, mais n’ont que peu ou pas d’effet sur les concentrations de cholestérol total, LDL ou HDL, être bénéfiques pour abaisser la tension artérielle, diminuer l’insuline à jeun et l’insulinorésistance, mais la glycémie à jeun reste largement inchangée.
La plupart des études sur les pratiques de restriction énergétiques ou de jeûnes portent sur les personnes en surpoids et en obésité et concluent à un bénéfice sur la perte de poids et la santé métabolique. Mais qu’en est il réellement chez les personnes minces et à poids normal ?
Un essai clinique publié en 2021 (10) a examiné et comparé sur 3 semaines chez les individus minces en bonne santé :
- le jeûne de 24 heures d’un jour sur 2 (jour de jeûne 0kcal – jour nourri à 150% des besoins caloriques) = jeune avec restriction totale de 25% des besoins caloriques
- le jeune de 24 heures d’un jour sur 2 (jour de jeûne 0 kcal – jour nourri à 200% des besoins caloriques) = jeune sans restriction calorique
- la restriction calorique continue correspondant à 75% des besoins caloriques = régime hypocalorique continue avec -25% des besoins caloriques quotidiens
Chez les personnes minces, la restriction continue modérée a été plus efficace sur la perte de masse grasse (-1,75 kg) que le jeûne un jour sur 2 à 150 % des besoins (-0,74 kg) tandis que le jeûne un jour sur 2 sans restriction calorique n’a eu quasiment aucun effet (-0,12 kg). Le jeûne n’apportait pas de bénéfices sur les paramètres biologiques et métaboliques.
En conclusion :
Tout porte à croire que les interventions diététiques portant sur les diverses pratiques de jeûne ont une efficacité similaire à la restriction calorique habituelle, aboutissant à une perte de poids modeste d’une moyenne de 7 kilos, ou 3 à 8% du poids corporel en 3 semaines à 6 mois (3 à 8 kg chez une personne de 100kg) et une amélioration de certains marqueurs biologiques pouvant être bénéfiques sur la santé chez les personnes en surpoids ou en obésité. Sans surprise, plus le nombre de jours de jeûne est important dans la semaine, plus la perte de poids est significative.
Chez les personnes minces, les pratiques de jeûnes sont moins efficaces pour la perte de masse grasse que la restriction calorique continue et n’apportent pas de bénéfices sur les marqueurs biologiques de santé cardiovasculaires ou métaboliques.
Sources :
1- Anton SD, Moehl K, Donahoo WT, et al. Flipping the Metabolic Switch: Understanding and Applying the Health Benefits of Fasting. Obesity (Silver Spring). 2018;26(2):254-268. doi:10.1002/oby.22065
2- Currenti W, Buscemi S, Cincione RI, Cernigliaro A, Godos J, Grosso G, Galvano F. Time-Restricted Feeding and Metabolic Outcomes in a Cohort of Italian Adults. Nutrients. 2021 May 13;13(5):1651. doi: 10.3390/nu13051651. PMID: 34068302; PMCID: PMC8153259
3- Harris L, Hamilton S, Azevedo LB, Olajide J, De Brún C, Waller G, Whittaker V, Sharp T, Lean M, Hankey C, Ells L. Intermittent fasting interventions for treatment of overweight and obesity in adults: a systematic review and meta-analysis. JBI Database System Rev Implement Rep. 2018 Feb;16(2):507-547. doi: 10.11124/JBISRIR-2016-003248. PMID: 29419624.
4-Lowe, Dylan A et al. “Effects of Time-Restricted Eating on Weight Loss and Other Metabolic Parameters in Women and Men With Overweight and Obesity: The TREAT Randomized Clinical Trial.” JAMA internal medicine vol. 180,11 (2020): 1491-1499. doi:10.1001/jamainternmed.2020.4153
5- Wilkinson MJ, Manoogian ENC, Zadourian A, et al. Une alimentation limitée à dix heures réduit le poids, la tension artérielle et les lipides athérogènes chez les patients atteints du syndrome métabolique. Cellule Metab . 2020;31(1):92-104.e5. doi:10.1016/j.cmet.2019.11.004
6- Sutton EF, Beyl R, Early KS, Cefalu WT, Ravussin E, Peterson CM. Early Time-Restricted Feeding Improves Insulin Sensitivity, Blood Pressure, and Oxidative Stress Even without Weight Loss in Men with Prediabetes. Cell Metab. 2018;27(6):1212-1221.e3. doi:10.1016/j.cmet.2018.04.010
7- Gill S, Panda S. A Smartphone App Reveals Erratic Diurnal Eating Patterns in Humans that Can Be Modulated for Health Benefits. Cell Metab. 2015;22(5):789-798. doi:10.1016/j.cmet.2015.09.005
8- Gabel K, Hoddy KK, Haggerty N, et al. Effets d’une alimentation limitée à 8 heures sur le poids corporel et les facteurs de risque de maladies métaboliques chez les adultes obèses : une étude pilote. Nutr Vieillissement en bonne santé . 2018;4(4):345-353. Publié le 15 juin 2018. doi:10.3233/NHA-170036
9- St-Onge MP, Ard J, Baskin ML, et al. Moment et fréquence des repas : implications pour la prévention des maladies cardiovasculaires : une déclaration scientifique de l’American Heart Association. Circulation . 2017;135(9):e96-e121. doi:10.1161/CIR.0000000000000476 :
10- Templeman I, Smith HA, Chowdhury E, Chen YC, Carroll H, Johnson-Bonson D, Hengist A, Smith R, Creighton J, Clayton D, Varley I, Karagounis LG, Wilhelmsen A, Tsintzas K, Reeves S, Walhin JP, Gonzalez JT, Thompson D, Betts JA. A randomized controlled trial to isolate the effects of fasting and energy restriction on weight loss and metabolic health in lean adults. Sci Transl Med. 2021 Jun 16;13(598):eabd8034. doi: 10.1126/scitranslmed.abd8034. PMID: 34135111.
Article rédigé par Katia Tardieu Diététicienne nutritionniste
Lire la partie 3 de l’article : le jeûne intermittent est il plus efficace pour perdre du poids qu’une restriction calorique continue classique ?